FEUILLETON AUTOMOILE
Suite des 3 premier épisodes en ligne ICI
Quelques fictions en plus d’infos sur la course auto, tel est le programme du blog CIRCUIT MORTEL Bien sûr, les histoires qui se déroulent dans l’univers de David Sarel, le héros récurrent de mes romans, sont privilégiées. Éric Trélor, parrain de David Sarel, raconte ici au journaliste Sébastien Ménier une course de côte qui l’a particulièrement marqué au début de sa carrière de gentleman driver.
Sébastien Ménier : La tension monte avant le départ, je présume.
Éric Trélor : Oui, forcément. Les courses de côte étaient courtes. Souvent moins de 2 kilomètres. Cela veut dire qu’une erreur ne se rattrape pas. Il faut réussir le parcours absolument parfait, à limite de ce qui est possible partout. Le stress pour moi, c’était toujours quand il restait six ou sept voitures devant. Là, je mettais ma cagoule, mes gants, mon casque, et je rentrais dans la phase finale de la concentration. Après quand il ne reste plus que deux ou trois voitures à partir avant toi, tout va bien. Tu es déjà entré dans la course. Puis on te fait signe d’avancer sur la ligne de départ. Le starter t’annonce les 30 secondes en croisant les index des deux mains, puis les dix avec les dix doigts devant le pare-brise. Tu as enclenché la première. Le starter effectue le décompte des cinq dernières secondes en repliant un à un les doigts de la main devant ton pare-brise. Tu fais monter le moteur dans les tours au rythme du décompte. Ça y est, il te libère. Tu es en course.
Sébastien Ménier : Ton cœur bat plus vite.
Éric Trélor : Tu ne t’en rends même pas compte. Tu montes les vitesses et tu soignes les trajectoires. A Pouillé, les deux premiers virages passaient à fond, mais il y a tout de même quelques millièmes à gagner en passant propre. Puis c’est le freinage avant le gauche. Je freine tard, je rentre une vitesse, je ré-accélère et je plonge dans l’accotement à gauche ce qui secoue un peu l’Alfa. Je sors en dérive. Je sens que l’arrière s’appuie sur les bottes de paille à l’extérieur. Je me régale au volant. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, personne ne peut aller plus vite que moi avec une Alfa. Le temps passe vite. J’arrive déjà au haut du circuit. J’ai franchi la ligne d’arrivée. Je roule jusqu’au parc d’arrivée, un simple champ. Je me gare derrière l’Alfa blanche de Jacques et je cours au panneau d’affichage. Mon temps n’est pas encore tombé. Luc m’annonce qu’il est en tête des Rallye 2. Il ajoute que Jacques a raté son freinage avant le gauche de la descente. Il a bloqué les roues au point de dégager un nuage de fumée (de la gomme brûlée) et frôlé la grosse sortie. Je vois que mon principal rival dans la catégorie des 2 litres groupe 1 a l’air déçu. Pour l’instant, Pierre Sapeur sur l’Escort 2000 RS devance Christine Verrec et sa Triumph de 3 dixièmes et Jacques de plus d’une seconde. Pierre et Christine attendent mon temps avec autant d’angoisse que moi. Il tombe enfin. Je colle six dixièmes à Pierre. Le pilote de l’Escort 2000 RS me félicite, non sans une petite pointe d’amertume. « Là, je ne suis plus, marmonne-t-il. Ça devient déraisonnable, complètement dingue. Je cours pour m’amuser moi. Je ne veux pas y laisser ma peau. » Je le laisse dire. Je crois effectivement que Pierre n’ira pas au-delà d’un certain degré de risque, mais je sais que Jacques, comme moi, est capable d’aller chercher les derniers centièmes, la limite, très, très loin. Sans prétention, ce n’est pas pour rien que nous sommes les hommes à battre dans la catégorie alors que nous n’avons probablement plus les meilleures voitures. Je n’ai pas encore gagné. Il reste une montée de course. Tout peut arriver. D’autant que la rage qu’expriment les yeux de Christine annonce qu’elle pourrait bien trouver la force mentale qui lui permettra de martyriser sa Triumph Dolomite et de venir nous disputer la victoire. Sa voiture développe tout de même 50 chevaux de plus que les nôtres. Un sacré avantage dont elle n’a toujours pas trouvé le mode d’emploi en côte.
Sébastien Ménier : Tu nous a confié tout à l’heure qu’elle réalisait des performances en circuit. Pourquoi n’y parvenait-elle pas dans une autre discipline ?
Éric Trélor La Triumph Dolomite exigeait un pilotage particulier. C’était une voiture brutale. Il fallait la balancer sans hésitation dans les virages, la faire glisser, faire lever les roues. Sur les routes étroites qu’empruntaient les parcours de courses de côtes, ce n’était pas très sécurisant.
Sébastien Ménier : Que se passe-t-il entre les deux montées ?
Éric Trélor : Une fois les trois litres groupe 1 passées, 5 Commodore dont 4 réaliseront un moins bon temps que moi, nous redescendons en empruntant le tracé du circuit à l’envers.. Mikaël, Stéphane et sa compagne Marianne s’étaient placés dans l’enfilade au début de la montée. Je ralentis et nous échangeons des signes. Je vois qu’ils sont très enthousiastes. Je gare la voiture en bas du circuit. Michel et André sont sur la ligne de départ. Ils contrôleront que tout va bien sur l’Alfa tout à l’heure. Luc Crillon dispose d’une moto de cross 125 que son mécano a embarquée dans son camion d’assistance. Il me propose de m’amener à l’enfilade où sont nos amis. Nous disposons d’une bonne heure et demie avant de repartir. J’accepte avec joie. Une fois rendu sur place, je rejoins Mikaël, Stéphane et Marianne. Les voitures du groupe 2 sont en train d’en découdre. Mikaël me commente la course de mes principaux adversaires. Il ne voit pas qui pourrait me battre aujourd’hui. Les concurrents du groupe 3 vont bientôt s’élancer. Parmi eux, Ronnie qui vise deux objectifs. D’une part, battre les autres coupés Simca 1200 S et Fiat X 1/9 qui s’affrontent dans sa catégorie. Et d’autre part, devancer la meilleure Rallye 2, en l’occurrence celle de Luc. Ronnie fait un complexe vis à vis de Luc qu’il croit meilleur pilote que lui. Ronnie attaque très fort, il pilote même comme une brute. C’est un bon. Mais il redoute qu’il lui manque la petite étincelle que possède Luc et qui permet de jouer la gagne dans les catégories les plus relevées. En outre, comme lui, Luc est un gars costaud, qui n’a peur de rien. Aussi brun que Ronnie est blond, Luc domine son copain dans tous les exercices. Pas facilement mais que ce soit au tennis, à vélo, au bras de fer, à la lutte, en natation, Luc finit généralement par l'emporter… Ronnie accepte tous les défis de Luc et les perd presque tous, avec souvent une bouffe dans une pizzéria à la clef. Alors Ronnie voudrait avoir sa revanche, au moins une fois. J’aimerais d’ailleurs bien qu’il y parvienne. J’apprécie beaucoup Ronnie. Je le connais depuis l’école communale. Nous étions voisins. Contrairement à Luc qui se prépare à devenir prof de sport, Ronnie a quitté l’école de bonne heure. Il est devenu carrossier et travaille dans l’entreprise qu’avait montée mon grand-père Victor. C’est d’ailleurs mon grand-père qui l’a fait embaucher par son successeur comme apprenti l’année de ses 16 ans. Mon grand-père est mort trois ans plus tard. Ronnie est resté dans l’entreprise. Je sais qu’il rêve de la racheter un jour au patron actuel, un ancien ouvrier de la boite qui est à moins de dix ans de la retraite. Je souhaite qu’il réussisse ce défi et je l’encourage dans l’objectif professionnel qu’il s’est fixé car je sens que quelque part, l’idée plairait à mon grand-père. Mais nous n’en sommes pas là. La mission de Ronnie aujourd’hui, il l’a déjà acceptée, c’est de remporter au moins la catégorie des voitures du groupe 3 de moins de 1300 cm3. Il en est capable. Quoique d’un bon niveau, la lutte dans cette catégorie est moins disputée que dans les diverses classes du groupe 1 qui est un groupe de fous furieux commente le speaker chaque week-end de course. Battre les Rallye 2 où les meilleurs jouent leurs caisses à quitte ou double à chaque virage, ce sera beaucoup plus dur. D’ailleurs, dans toutes les courses de l’Hexagone, les coupés Simca 1200 S sont derrière les meilleures Rallye 2. Mais une fois de plus, Ronnie a levé le défi de Luc avec un dîner dans une pizzéria pour enjeu.
Sébastien Ménier : Pari gagné ou non ?
Éric Trélor : Objectivement, quand j’ai vu Ronnie freiner avant le gauche et placer sa voiture en appui, je me suis dit, aujourd’hui, il va y arriver. « Ben ça alors, il en a ! » a hurlé Luc. La 1200 S est partie en large dérive des quatre roues. Elle était superbe, gris clair métallisé avec des liserés orange. Mais Ronnie avait remis les chevaux un millième de seconde trop tôt. L’arrière de la 1200 S a continué à déraper sur l’herbe en faisant gicler les bottes de paille. Le pilote n’a pas levé le pied, espérant se sortir de sa situation en force, en restant soudé. Hélas, la roue arrière droite a fini par glisser dans le fossé, freinant brutalement la voiture. Du coup l’avant est venu basculer à son tour dans le fossé et le beau coupé est parti dans le champ en dévers en tonneaux par l’avant dans vacarme de tôles fracassées qui ressemblait à une série d’explosions. Trois figures plus tard, la 1200 S de Ronnie s’immobiliser sur le toit. L’attente a duré huit ou dix secondes. Compte tenu de la violence des chocs, nous étions très inquiets. Au premier tonneau, Marianne a laissé échappé un petit cri. La compagne de Stéphane connaissait bien Ronnie. Nous formions un vrai groupe d’amis. Non seulement nous nous voyions sur les circuits, mais nous nous fréquentions en dehors. « C’est de ma faute, a dit Luc d’une voix blanche. Je n’aurais pas dû le provoquer. Dès qu’il s’agit d’un pari, il ne marche pas, il court. » Luc et Ronnie étaient des têtes brûlées. Personne ne les changerait. Luc proposa de prendre la moto pour aller voir. J’allais le suivre. A cet instant, nous vîmes Ronnie sortir de sa voiture par l’emplacement du pare-brise qui avait quitté le navire, ou plutôt la caisse, au premier tonneau. Il enleva tranquillement son casque et leva la main, pouce en l’air, afin d’annoncer que tout allait bien. Nous étions soulagés.
Sébastien Ménier : Ronnie a-t-il recommencé à courir rapidement ?
Éric Trélor : Naturellement. Le week-end suivant, il faisait les Cent tours de Magny-Cours avec Luc sur la Rallye 2 (c’était une épreuve où les pilotes se relayaient). Quinze jours plus tard, il était au départ de la Course de côte de Landivisiau. Ronnie possédait deux caisses de réserve, déjà décorées, avec les faisceaux électriques installés. Il a remonté très vite sa voiture avec des copains qui bossaient à l’atelier de carrosserie. Ronnie était un peu comme Gilles Villeneuve une fois sur la piste. Je ne crois pas que son rythme cardiaque se soit beaucoup accéléré pendant l’accident. Nous sommes redescendus au départ pour le réconforter. Il ne semblait pas du tout affecté. Dès qu’il nous a vus, il a adressé une boutade à Luc en rigolant. « T’as encore gagné, enfoiré. Ben j’ai plus qu’à t’inviter au Don Camillo demain soir. » C’était tout Ronnie.
Sébastien Ménier : Et la fin du week-end pour toi ?
Éric Trélor : Impeccable. J’ai amélioré d’un dixième dans la seconde montée. J’avais le sentiment d’avoir piloté exactement de la même manière, au millimètre près, mais je crois que le revêtement était un tout petit peu moins chaud et que le rendement des pneus s’en trouvait légèrement amélioré. Jacques s’est intercalé entre moi et Pierre, mais il restait à une demi-seconde derrière moi. Pierre était démotivé, du coup il a trop assuré et il a fait moins bien qu’à sa première montée. Quant à Christine Verrec, elle a piloté le couteau entre les dents, au point de partir en tête à queue dans l’enfilade. Elle a filé dès la fin de la course sans même venir à la remise des prix. Les Alfa 2000 GTV avaient encore battu l’Escort 2000 RS et la Triumph Dolomite. Luc a conservé la tête des Rallye 2. Lui-aussi devenait un sacré pilote.
FIN
NOTE MODIFIEE LE 14 AOÛT 2015
QUELQUES LIENS A SUIVRE
Ronnie pourrait être un personnage de BD http://bit.ly/1fhtTYz
Quelques années plus tard, Éric et Luc au cœur d’un polar automobile lors d’un rallye en Auvergne http://bit.ly/1gDZwV5
Quelques sorties de route en course de côte… dont une des miennes… http://bit.ly/QIejJ9
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Thierry Le Bras